Dans le monde du travail, certaines émotions sont tolérées — mais à petite dose. L’enthousiasme, oui, tant qu’il ne déborde pas. La fierté, tant qu’elle reste modeste. La joie ? D’accord, si elle n’interrompt pas la réunion.
Les autres, on les préfère discrètes.
Colère ? Trop agressive.
Peur ? Trop faible.
Tristesse ? Inappropriée.
Bref, tout ce qui ne rentre pas dans la case « efficacité mesurée » est prié de rester chez soi.
Mais la réalité, c’est que les émotions n’attendent pas votre autorisation pour exister.
Elles débarquent. Elles s’invitent. Elles s’expriment.
Et plus vous essayez de les contenir, plus elles prennent de la place. Comme un chat enfermé dans un tiroir.
Une émotion, ce n’est pas une faiblesse. C’est une information. C’est votre corps qui vous dit : “Il se passe quelque chose ici. Regarde.” Pas “tu perds pied”. Pas “tu n’es pas pro”. Juste : regarde.
Alors, regardons.
La colère, par exemple.
Mal aimée, souvent caricaturée. On l’associe à l’explosion, à la domination, à la perte de contrôle.
Résultat ? Beaucoup de gens — surtout les femmes — préfèrent l’avaler plutôt que de la laisser sortir.
Et à force, ça ronge. Ça bouillonne. Et ça finit en explosion (ou en crise de larmes, ou en silence plombant, ou en burn-out).
Mais bien comprise, la colère est une alliée puissante.
Elle vous signale qu’une limite a été franchie.
Elle vous pousse à poser un cadre, à dire non, à vous respecter.
Ce n’est pas un orage. C’est une alarme.
Le problème n’est pas qu’on soit en colère.
Le problème, c’est qu’on n’a jamais appris à l’exprimer sans se perdre dedans.
Et ça, c’est une compétence. Ça s’apprend.
Et la peur alors ?
Celle qu’on planque sous un air détaché, un humour mal placé, ou une posture rigide.
Parce qu’on a associé “avoir peur” à “ne pas être à la hauteur”.
Or la peur, elle est utile. Elle nous signale un risque, une incertitude, une alerte.
Elle nous pousse à vérifier, à ralentir, à affûter notre attention.
Ce n’est pas la peur qui est dangereuse.
C’est de faire comme si elle n’existait pas.
C’est de prendre des décisions majeures en mode “je gère, t’inquiète”, alors que tout le corps hurle “pas là, pas maintenant”.
Reconnaître sa peur, ce n’est pas faiblir.
C’est garder les yeux ouverts.
Et la tristesse, parlons-en.
Celle qu’on cache avec un “ça va” creux, un mail rapide, un repli discret.
Celle qu’on transforme parfois en ironie, ou qu’on enterre sous une montagne de to-do lists.
Mais être triste, ce n’est pas être fragile.
C’est ressentir une perte. Une déception. Une fin.
C’est témoigner que quelque chose comptait.
La tristesse est une preuve d’engagement. De lien. D’investissement émotionnel.
Ce n’est pas une erreur de casting dans un cadre pro.
C’est le signe que vous n’êtes pas un robot. Et ça, c’est plutôt rassurant.
En réalité, quand on laisse les émotions circuler, il se passe quoi ?
Elles passent.
Elles nous informent.
Elles nous aident à agir plus justement, plus finement, plus humainement.
On arrête de sur-réagir. On gagne en lucidité. On reste aligné·e.
Et bonus : on donne l’exemple à d’autres qui n’osaient pas non plus.
À l’inverse, quand on les planque :
Elles stagnent.
Elles s’amplifient.
Elles sortent là où on ne les attendait pas (coucou les sarcasmes, les tensions en réunion, les nuits sans sommeil).
Non, il ne s’agit pas de transformer le bureau en cercle de parole émotionnel.
Mais d’arrêter de traiter les émotions comme des fautes professionnelles.
On peut être émotif·ve ET professionnel·le.
Non seulement c’est possible, mais c’est souhaitable.
Parce qu’un·e pro connecté·e à ses émotions :
- est plus lucide,
- plus courageux·se dans ses décisions,
- plus ajusté·e dans ses relations,
- et clairement plus humain·e que les clones de PowerPoint sur pattes.
Ce monde du travail a besoin de nuance.
De présence.
D’intelligence émotionnelle — la vraie, pas celle des slides de formation RH.
Colère, peur, tristesse : ce ne sont pas des failles.
Ce sont des boussoles. Des signaux. Des alliées.
Elles ne vous empêchent pas d’être compétent·e.
Ce qui vous freine, c’est l’énergie que vous déployez à les enterrer.
Alors non, vous n’êtes pas “trop”.
Vous êtes en contact avec ce que vous ressentez.
Et si, à partir d’aujourd’hui, vous arrêtiez de vous excuser d’être vivant·e ?